Brozoufland

Proposer un ouvrage sur la géographie d’un espace donné, voilà une idée très banale. C’est l’exercice canonique de la géographie classique française, dont les règles furent fixées à la fin du XIXe siècle. Nombre d’ouvrages de recherche ou publications pédagogiques portent ainsi sur un pays ou une région. Il s’agit souvent d’en décrire les principales caractéristiques, dans une perspective qui vise l’exhaustivité et insiste sur les particularités de l’espace étudié. On tente d’en faire comprendre la singularité, si ce n’est l’identité, dans une logique de portrait. Cette brochure s’inscrit bien dans la filiation de cette géographie vidalienne en ce qu’elle prétend présenter le Brozoufland au lecteur en mettant l’accent sur ses multiples spécificités.

Notre approche relève aussi d’une géographie classique au sens où elle accorde une grande place aux lieux, aux paysages, et au monde matériel. Jusque dans les années 1950, la géographie traitait surtout de ce qui se voit. Un bon géographe était quelqu’un qui savait regarder, savait dessiner ou prendre des clichés – le croquis ou la photographie permettant à l’auteur de faire partager ce qu’il avait vu et compris. Il est donc aussi assez banal qu’un livre présentant un pays comporte comme celui-ci de nombreuses photographies, qui montrent ce qu’il faut voir pour en comprendre la géographie.

Cette brochure présente pourtant une certaine originalité. Elle tient aux trois points qui suivent. Premièrement, le Brozoufland n’avait jusqu’aujourd’hui suscité que fort peu de publications, essentiellement dans le champ de la géographie économique. Il n’avait été l’objet d’aucune monographie.

Il paraissait important de combler cette lacune et de présenter ce pays peu connu, dont bien des aspects sont singuliers et méritent toute l’attention des géographes, même de ceux qui n’ont pas de raison particulière de s’intéresser à cette partie du monde.

Deuxièmement, ce travail est une œuvre collective. Pas moins d’une vingtaine d’auteurs – tous en postes ou qui sont passés par le département de géographie de l’Université de Genève – ont participé à l’exercice sous le nom d’Ariane Bourbaki. Il s’en suit une variété de tons, de styles et d’approches qui ne peut échapper au lecteur. Celui-ci peut s’amuser à retrouver une plume d’un texte à l’autre, certains auteurs ayant livré plusieurs contributions. Cette diversité rompt avec le monologue de l’Auteur et présente le Brozoufland sous plusieurs éclairages. Tout comme le scialytique utilise de multiples sources lumineuses pour ne projeter aucune ombre sur le champ opératoire, la multiplicité des points-de-vue qui s’expriment ici vise à ne laisser dans le noir aucun aspect important du Brozoufland.

Troisièmement, la photographie n’a pas ici une fonction seconde et illustrative, venant après le texte et pour en illustrer le propos, comme c’est souvent le cas dans les ouvrages de géographie. Ce projet résulte, il est vrai, de l’initiative d’un géographe. Mais avant qu’une ligne ne soit écrite, avant que le plan et la problématique ne soient posés, il a été mis dans les mains d’un photographe. Alberto Campi vit depuis 3 ans au Brozoufland ; son regard sur le pays est à la fois neuf et informé. Très proche de la géographie, qu’il fréquente beaucoup, il fut immédiatement intéressé par l’idée d’un Tableau géophotographique du Brozoufland. La première étape consista en une discussion entre les géographes et le photographe, pour identifier différents thèmes susceptibles de figurer dans la brochure. Ensuite, Alberto Campi revint avec les clichés qu’il trouvait particulièrement intéressants ou significatifs par rapport aux thèmes identifiés (ou d’autres, il faut le dire). Lors de la seconde étape, ces photographies furent proposées aux auteurs- géographes, qui choisirent celle(s) qui les inspirai(en)t et en rédigèrent le court commentaire. Plus rarement, un auteur qui voulait évoquer tel point put demander au photographe s’il avait une image pour l’illustrer. A deux ou trois occasions, Alberto Campi, n’ayant pas la photographie en stock, réalisa le cliché sur commande.

Cette brochure assume ainsi une approche par l’image, le texte lui étant second. Ce n’est pas qu’il faille particulièrement faire confiance aux images. Elles reflètent moins la réalité du monde photographié que la vision du photographe qui les a produites. Les photographies se prêtent à toutes les manipulations : on peut composer une scène et faire poser les personnages ; on choisit un point de vue, un cadrage, une mise au point, un éclairage, etc. ; on peut jouer sur le cliché au moment du tirage, et au besoin le retoucher. Mais l’image n’est pas univoque : son sens dépend au moins autant de celui qui la regarde que de celui qui l’a composée. Ainsi chaque commentaire écrit par un géographe en regard d’une photographie lui donne un éclairage particulier et en suggère une interprétation. Pas nécessairement celle que le photographe avait en tête. Pas nécessairement non plus celle que le lecteur de la brochure aurait spontanément proposé : libre à lui de faire de ces photographies et de ces textes la lecture qu’il veut…

Cette brochure résulte ainsi d’un dialogue entre des géographes et un photographe pour vous présenter certains aspects du Brozoufland. Nous espérons que vous allez partager ce point de vue, et accepter de participer à ce dialogue.

Mais soyons honnêtes pour finir. Il y a peu de chances que vous vous rendiez au Brozoufland. Et c’est sous-estimer votre égocentrisme comme le nôtre que de croire qu’un pays aussi lointain et exotique puisse en tant que tel nous passionner. Si le Brozoufland mérite – c’est le cas ! – notre attention, c’est qu’il nous fait comprendre des choses sur nous-mêmes. Avouons que les éléments de la géographie du Brozoufland que nous avons choisi de présenter sont ceux qui diffèrent le plus de ceux auxquels nous sommes habitués. Les particularités – pour ne pas dire les bizarreries, certaines à peine croyables – du Brozoufland questionnent nos normes, nos habitudes et nos certitudes. Et c’est en cela qu’elles nous intéressent : au fond, cette brochure parle de nous. La géographie de l’ailleurs informe celle de l’ici.

Ariane Bourbaki

Ont contribué à cet ouvrage:

Alberto Campi, Alexandre Gillet, Jean-François Staszak, Jean-Baptiste Bing, Claire Camblain, Ruggero Crivelli, Hy Dao, Bernard Debarbieux, Cristina Del Biaggio, Juliet Fall, Frédéric Giraut, Allison Huetz, Clémence Lehec, Bertrand Lévy, Thierry Maeder, Jacques Michelet, Muriel Monnard, Raphaël Pieroni, David Pillonel, Anne Sgard, Estelle Sohier. Merci à Sandrine Billeau-Beuze, Isabelle Géneau de Lamarlière, Mme Lisa, Pedro Nari, Antonio Satorre, Sandrine Sciarrino.

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